l'ogre

à Guillaume

Un Ogre
qui n'avait jamais mangé personne,
prit un jour le chemin de la ville
quand il n'y eut dans son jardin
plus un radis, plus une citrouille,
plus rien.

Il voulut aller au marché,
mais tous les marchands se sauvaient
Qui a dit que j'étais méchant ?
Pas moi, pas moi !
criaient les marchands, courant.

Moi, je dis que tu es méchant !
a répondu une maman.
L'Ogre, ulcéré par tant d'ingratitude,
attrape la maman
et la croque pour son dîner.

Courez Courez petits voyous
car maintenant je suis méchant !

Et il reprit la route de son château.
Lentement, péniblement,
parce qu'il n'avait pas l'habitude de manger de la chair humaine.
C'est lourd à digérer.
Surtout qu'il avait avalé la maman
vivante
avec le sac à main et les chaussures,
et dans son ventre
ça cognait
ça pressait le foie
tordait les boyaux
et soulevait le cœur

Courage
il se dit
Je vais aller jusqu'à la rivière
je boirai un grand coup
ça fera glisser tout ça ! 

Quand il arriva près de l'eau
il s'agenouilla et but
mais vous savez, c'était un ogre !
il avala toute la rivière
jusqu'à la dernière goutte
et devant le lit de cailloux mis à sec
il n'était toujours pas soulagé
dans son ventre
ça cognait
ça pressait le foie
tordait les boyaux
et soulevait le cœur

Courage
il se dit
levant la tête vers les collines
qui verdoyaient
sur la route du château
Je vais manger un peu d'herbe pour me purger
ça fera glisser tout ça !

Et il se mit à brouter les collines
Mais vous savez, c'était un ogre !
Il avala toute la prairie
jusqu'au dernier brin d'herbe
la transforma en désert
mais il n'était toujours pas soulagé
dans son ventre
ça cognait
ça pressait le foie
tordait les boyaux
et soulevait le cœur

Courage
il se dit
se redressant fièrement
apercevant la forêt qui se dressait
au-devant de son château
Je suis un Ogre, non !
il faut que je mange quelque chose de consistant !

Il se traîna jusqu'aux arbres
les arracha l'un après l'autre
les dévora, feuilles, bois, racines,
et la terre qui tenait aux racines,
ce qui fit un trou énorme devant lui
mais il n'était toujours pas soulagé
dans son ventre
ça cognait
ça pressait le foie
tordait les boyaux
et soulevait le cœur

Courage
il se dit
regardant ce grand trou qui le séparait son château
de son château encore debout sur un pic rocheux
Je suis arrivé !
Et rassemblant ses forces pour bondir
il s'élança vers le château
et
tomba dans le trou

Et tomba la pluie par-dessus lui
tomba
toute la nuit

Au matin c'était un lac
au milieu flottait l'ogre endormi
la maman installée sur le bord
faisait sa toilette
près d'elle séchaient son sac à main
et ses chaussures
Comme l'Ogre dormait la bouche ouverte
elle en avait profité pour sortir
elle s'était baignée au soleil

Les oiseaux chantaient sur la rive
l'eau clapotait aux abords du château
l'Ogre mit pied à terre et sourit
il prit la maman par la main
pour lui faire visiter son jardin.

Tout avait repoussé
le long des salades
ont fait une promenade
devant les potirons
se sont demandé pardon
à l'ombre des pêchers
sont allés s'embrasser

Et l'Ogre et la maman
s'aimèrent tendrement
dans les fleurs d'artichaut




2 commentaires:

eva baila a dit…

Ah ah ah ! J'adore ! Rien ne résiste aux mamans !
(la vignette est un tableau de Rousseau ? Je ne connaissais pas ce tableau)

r.t a dit…

D'après ce que j'ai trouvé, ce tableau serait "Le rêve d'Henri Rousseau" et appartiendrait à une collection privée.